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Créer son entreprise

Créer son entreprise lorsqu’on est fonctionnaire : possible ou pas ?

By mai 1st, 2017No Comments13 min de lecture

Pouvoir diriger sa société en étant employé dans la fonction publique, est-ce compatible ? Chaque année, de nombreux fonctionnaires et contractuels s’orientent vers la création d’entreprise. Bien qu’il soit possible d’assumer cette situation en France dans certains cas, certaines règles sont imposées. Quel agent peut en profiter ? Existe-t-il certaines activités interdites pour ces agents et dans ce cas, lesquelles sont librement autorisées ? Cet article traitera de toutes les informations relatives à ce sujet.

Bref rappel : la fonction publique

La France comptait à fin 2014 plus de 5,64 millions d’agents de la fonction publique (devant l’Allemagne et ses 4,9 millions de fonctionnaires). Bien que certains dispositifs soient mis en place pour réduire le nombre d’agents à l’échelle nationale, de nombreux agents, pendant leur carrière, se tournent vers l’entrepreneuriat. Or, certaines lois françaises réduisent la souplesse qu’ont les employés du domaine public.

Qu’il soit fonctionnaire ou contractuel, un employé devra en premier lieu consacrer l’intégralité de son activité professionnelle à son emploi. L’autorisation de création d’une société sera reconnue « accessoire » aux yeux de l’Etat.

Les fonctionnaires et contractuels et la loi du 24 avril 2016

Autrefois dans l’impossibilité de créer une entreprise pour enfin se voir autorisés à l’activité d’auto-entrepreneuriat, les agents de la fonction publique subissent depuis le 24 avril 2016 certains dispositifs. En effet, la loi du 13 Juillet 1983 sur les droits et obligations des fonctionnaires citait :

« Le fonctionnaire consacre l’intégralité de son activité professionnelle aux tâches qui lui sont confiées. Il ne peut exercer, à titre professionnel, une activité privée lucrative de quelque nature que ce soit. »

Puis en 2007 et 2009 vint l’entrée en vigueur du statut d’auto entrepreneur. Ce statut, différent de celui des dirigeants de société anonyme, individuelle ou à actions simplifiée, ne tombe pas sous le coup de loi de 1983. Courant 2010, près de 19 500 fonctionnaires et contractuels de catégorie C (considérés comme « petits salaires ») se sont alors tournés vers la micro entreprise. Un succès conséquent pour ce type de statut perdure entre 2010 et 2016.

La loi du 24 avril 2016 voit ensuite le jour, mettant de nombreuses interdictions d’un point de vue déontologique.

Le fonctionnaire à temps complet et l’entrepreneuriat

La loi du 24 avril 2016 interdit au fonctionnaire ou contractuel de cumuler un ou plusieurs emplois à temps complet. La création ou reprise d’entreprise devient donc clairement impossible dans ce cas de figure.

Ce dispositif incite donc les fonctionnaires ou contractuels souhaitant créer leur société à la démission. En plus de certains postes perdus après des départs en retraite, ces causes ont littéralement réduit le nombre d’agents dans la fonction publique ; un des objectifs du gouvernement depuis ces dernières années.

La demande de travail à temps partiel

Une solution subsiste pour les fonctionnaires désireux de devenir entrepreneur. Pour ce faire, l’agent à temps complet doit effectuer une demande de travail à temps partiel pour créer ou reprendre une société. L’employeur se voit, depuis le 24 avril 2016, en position de facilité pour refuser (autrefois, le refus était impossible). En effet, sa possibilité d’invoquer « les nécessités du service ou des difficultés d’organisation du travail que le temps partiel provoquerait ».

D’un point de vue administratif, quelles sont les formalités administratives pour cette demande ?

Bien que cette demande soit devenue plus délicate depuis 2016, les agents de la fonction publique devront suivre certaines étapes pour arriver à leur but. En premier lieu, une demande préalable de compatibilité du projet de création/reprise d’entreprise devra être déposée à la CDFP (commission de déontologie de la fonction publique).

Aucune avancée dans le traitement de la demande ne peut être suivie. La décision, rendue dans les 2 mois suivants, ne pourra aucunement être contestée. Trois types de cas de figure sont possibles :

  • Décision de compatibilité : le fonctionnaire ou contractuel sera alors reclassé avec un emploi du temps modifié, et ce, sur une période de 3 ans. L’agent passera donc en temps partiel, lui permettant de créer son entreprise. A terme, l’agent devra choisir entre sa démission ou la réintégration d’un temps plein.
  • Décision de compatibilité avec réserves : le fonctionnaire ou contractuel reçoit la permission de basculer en temps partiel, et ce, sur une durée maximale de 2 ans. A terme, les mêmes choix que sur une décision de compatibilité lui seront proposés.
  • Décision d’incompatibilité : le fonctionnaire ou contractuel ne pourra en refaire la demande ni contester celle-ci.

La loi du 24 avril 2016 permet néanmoins la reformulation d’une demande de temps partiel 3 ans après la reprise d’un temps complet.

La commission de déontologie examinera donc certaines compatibilités. L’activité ne devra pas exposer l’agent à une prise illégale d’intérêts (passible d’une peine de 3 ans de prison et 200 000 euros d’amende). Elle ne devra pas porter atteinte à « la dignité des fonctions administratives ». Pour finir, toute activité pouvant « compromettre ou mettre en cause le fonctionnement normal, l’indépendance ou la neutralité du service » sera estimée incompatible.

Le fonctionnaire à temps partiel ou incomplet et l’entreprenariat

Les agents de la fonction publique à temps non complet ou incomplet jouissent de droits en termes de création d’entreprise. A la différence des agents à temps complet, ce type de profil dispose, aux yeux de l’état, de possibilités professionnelles en dehors de leur emploi. Voici ce que stipule la loi du 24 avril 2016 :

« Le fonctionnaire ou l’agent dont le contrat est soumis au code du travail, occupant un emploi permanent à temps non-complet ou dont la durée est inférieure ou égale à 70 % de la durée légale du travail peut également exercer une activité privée lucrative, sous conditions »

Ce texte de loi permet donc à de nombreux agents de la fonction publique de devenir également entrepreneur. L’employeur pourra néanmoins s’opposer à l’activité lucrative de son employé s’il estime que celle-ci nuit à l’exercice de ses fonctions. Enfin l’entrepreneur devra déclarer le cumul d’emploi à la hiérarchie.

Quelles activités autorisées pour un fonctionnaire ou contractuel

Bien que l’activité lucrative soit permise aux fonctionnaires ou contractuels à temps partiel ou incomplet, celle-ci est définie aux yeux de l’état comme « accessoire ». En effet, depuis le 1er septembre 2016, un décret stipule que le régime de l’auto entrepreneur est réservé à des petites activités. Un seuil maximal de revenu est également imposé par le code général des impôts.

Il est alors possible pour le fonctionnaire ou contractuel d’effectuer une demande lui permettant une activité sans limitation de durée. Pour le statut social, l’agent de la fonction publique aura donc trois possibilités :

  • L’auto entreprise.
  • L’EURL (entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée).
  • La SASU (société par actions simplifiée unipersonnelle).

Aux yeux de l’Etat, l’article 25 septies IV de la loi du 13 juillet 1983 stipule que les activités « accessoires », lucratives ou non, peuvent être exercées auprès d’un organisme public ou privé, dès lors que cette activité est compatible avec les fonctions qui lui sont confiées et n’affectent pas leur exercice.

Un décret sur la liste précise des activités autorisées doit être établi par le gouvernement dans les prochains mois.

Le fonctionnaire auto entrepreneur : quel régime fiscal pour quels droits sociaux ?

D’un point de vue administratif, le double statut de fonctionnaire et d’auto entrepreneur présente quelques incidences.

Le régime fiscal

Un fonctionnaire étant également entrepreneur dispose de deux possibilités en termes d’imposition :

  • L’entrepreneur choisit le prélèvement fiscal libératoire versé forfaitairement directement à l’administration fiscale tous les mois ou tous les trimestres, mais il ne faut pas dépasser un plafond de revenus.
  • L’entrepreneur décide de ne pas subir de prélèvement fiscal libératoire. Il adopte dans ce cas le régime fiscal de la micro entreprise. Le chiffre d’affaires devra donc être déclaré sur la déclaration annuelle de revenus. Celui-ci sera comptabilisé pour les activités de vente comme micro-bénéfices industriels et commerciaux (BIC) et pour les prestataires de services comme micro-bénéfices non commerciaux (BNC).

Les droits sociaux

Dès lors qu’un agent de la fonction publique décide de devenir entrepreneur, celui-ci est affilié au régime social des indépendants (RSI). Des cotisations sociales devront dans ce cas être reversées.

Les charges sociales mensuelles ou trimestrielles (au choix de l’entrepreneur) seront calculées en fonction de l’activité :

  • Un taux de 18,3 % pour les professions libérales.
  • Un taux de 21,3 % pour les prestataires de services.
  • Un taux de 12 % sur le chiffre d’affaires dans le cas d’activités de vente.

L’avantage considérable de l’auto entrepreneuriat est le non-paiement de cotisations minimales avec l’absence d’activité ou de chiffre d’affaires.

Les conflits d’intérêts possibles pour un fonctionnaire entrepreneur

La commission de déontologie de la fonction publique (CDFP), décisionnaire pour chaque demande de basculement en temps partiel, est également capable d’interdire une activité lucrative aux agents de la fonction publique. Les différentes situations probables sont nombreuses et les sanctions peuvent devenir très lourdes en cas de manquement.

En cas de non-respect de l’avis de la commission de déontologie

La commission de déontologie a le pouvoir de mettre fin au contrat d’un fonctionnaire ou contractuel. Sans préavis ni indemnité de rupture, le licenciement est rapidement effectif et ne permet aucun recours.

En cas de prise illégale d’intérêts

La prise illégale d’intérêts en tant qu’agent de la fonction publique est sévèrement punie par loi. D’après l’article 423-13 du Code pénal, la peine peut aller jusqu’à 3 ans d’emprisonnement ainsi qu’une amende de 200 000 euros.

Cet article mentionne également que :

  • « [Est puni le fait] soit d’assurer la surveillance ou le contrôle d’une entreprise privée, soit de conclure des contrats de toute nature avec une entreprise privée ou de formuler un avis sur de tels contrats, soit de proposer directement à l’autorité compétente des décisions relatives à des opérations réalisées par une entreprise privée ou de formuler un avis sur de telles décisions, de prendre ou de recevoir une participation par travail, conseil ou capitaux dans l’une de ces entreprises avant l’expiration d’un délai de trois ans suivant la cessation de ces fonctions. ».
  • « Est punie des mêmes peines pour participation par travail, conseil ou capitaux dans une entreprise privée qui possède au moins 30 % de capital commun ou a conclu un contrat comportant une exclusivité de droit ou de fait avec l’une des entreprises mentionnées au premier alinéa ».

L’article 423-13 développe également les cas exposés à une possible condamnation :

  • « Lorsqu’un agent propose à l’autorité compétente des décisions relatives à des opérations réalisées par une entreprise privée ou de formuler un avis sur de telles décisions, de prendre ou de recevoir une participation par travail, conseil ou capitaux dans l’une de ces entreprises avant l’expiration d’un délai de trois ans suivant la cessation des fonctions. »
  • « Lorsqu’un agent conclut des contrats de toute nature avec une entreprise privée ou de formuler un avis sur de tels contrats ».
  • « Lorsqu’un agent assure la surveillance ou le contrôle d’une entreprise privée ».

Les activités privées lucratives nécessitant une autorisation

La commission de déontologie peut, au cas par cas, imposer une réflexion sur une autorisation préalable dans certains secteurs d’activité. L’autorité hiérarchique peut également interdire le fondement d’une société. L’autorisation sera nécessaire si le domaine d’activité peut s’avérer néfaste avec celui de la fonction publique. Encore une fois aucun recours n’est possible après la décision de la commission ou de supérieurs hiérarchiques.

Conclusion sur un cumul difficile

Après avoir détaillé les aspects administratifs, juridiques et fiscaux, le cumul du fonctionnariat et de l’entrepreneuriat reste difficile et limité. Avec un accès totalement impossible pour les agents de la fonction publique à plein temps, ceux à temps partiel ou incomplet disposent de moins d’avantages qu’un employé du domaine privé.

Beaucoup d’analystes mettent en avant le plan du gouvernement visant à réduire le nombre de fonctionnaires et contractuels. Les dispositifs de la loi du 24 avril 2016 concordent parfaitement avec certains plans politiques. Au détriment de nombreux employés, bloqués et pourtant désireux de construire leur société. Chaque année, pas loin de 900 fonctionnaires (en moyenne) décident de démissionner pour tenter l’aventure de l’entrepreneuriat. Avec succès et parfois écrasés par l’échec, certains réussissent tout de même à réintégrer la fonction publique (d’après quelques témoignages). Aujourd’hui, de nombreux présidents et dirigeants d’entreprise demandent une révision de la loi du 24 avril 2016. L’Etat continue pourtant à durcir l’accès de l’autoentreprise aux employés du secteur public.